Des chiffres qui appellent à l’action : le contexte de la survie des tigres

Sur l’ensemble du XX siècle, la population mondiale des tigres a chuté de plus de 95 %. En 1900, on estimait leur nombre à plus de 100 000. Sept sous-espèces sillonneraient alors prés, forêts et marécages d’Asie. Aujourd’hui, seules six survivent : le tigre de Sibérie, du Bengale, d’Indochine, de Malaisie, de Sumatra et le tigre du Sud de la Chine (ce dernier n'étant plus observé à l’état sauvage). Trois sont éteintes. Les menaces sont implacables : braconnage, destruction d’habitats, trafic d’organes et de peaux, conflits homme-animal. Entre 2006 et 2018, on estime que plus de 2 200 tigres ont été illégalement tués et commercialisés, selon TRAFFIC, le réseau de surveillance du commerce d’espèces sauvages (TRAFFIC).

Pionniers et sentinelles : la force du WWF

Cela fait près de soixante ans que le WWF (World Wide Fund for Nature) agit pour la protection des tigres. Son approche est aussi large et complexe que les territoires du félin : du dialogue avec les gouvernements asiatiques à la structuration de réseaux de réserves, en passant par des actions de terrain ardues.

  • Opérations anti-braconnage : Le WWF a formé et équipé plus de 1 000 rangers au Népal, en Inde et au Bhoutan, optimisant l’usage de la technologie (caméras-pièges, drones, GPS) pour surveiller les couloirs de vie et démanteler des réseaux criminels. En Inde, cette organisation participe à la Tiger Response Team, qui, en 2021, a contribué à une baisse locale de 60 % du braconnage (Source : WWF Inde).
  • Protection et restauration des habitats : Le WWF investit dans le renforcement des corridors de migration, pour éviter l’isolement génétique et permettre aux tigres de chasser ou se reproduire hors des aires principales. En Russie, avec le Tigre de Sibérie, le Parc National du Pays du Léopard a vu la population locale de félins doubler en moins de 15 ans.
  • Action politique et coopération internationale : En 2010, sous la houlette du WWF et de la Banque Mondiale, un sommet « Tiger Summit » réunit 13 gouvernements pour la « TX2 », objectif de doubler le nombre de tigres sauvages d’ici 2022. Les engagements signés à Saint-Pétersbourg placent ainsi le sort du tigre sous surveillance mondiale.

Le WWF travaille également avec les communautés locales : intégration de l’écotourisme responsable, compensation pour les pertes de bétail (et réduire ainsi la tentation de tuer les prédateurs) ou encore programmes d’éducation auprès des jeunes.

La singularité de Panthera : défendre les tigres, et tous les félins

Fondée en 2006, Panthera est la première organisation internationale exclusivement consacrée à la préservation des félins sauvages. Son action, plus discrète, plus technique parfois, se distingue par sa science rigoureuse et son réseau de spécialistes.

  • Tiger Corridor Initiative : Panthera a cartographié plus de 150 corridors de tigres en Asie du Sud-Est et travaille activement avec des gouvernements peu médiatisés pour assurer la connectivité génétique. Les projets pilotes au Myanmar et au Laos sont des éclaireurs dans cette approche pan-asiatique (Source : Panthera).
  • Recherche et innovation scientifique : Panthera développe des algorithmes d’intelligence artificielle pour identifier les individus grâce à leur rayure unique sur la base d’images de pièges photos, rendant le suivi plus fiable et moins intrusif. Cette démarche permet d’éviter le stress de la capture et augmente la précision des recensements.
  • Lutte contre la criminalité faunique : Panthera travaille étroitement avec la Wildlife Crime Initiative pour infiltrer les marchés noirs, suivre les flux financiers et obtenir de véritables condamnations, notamment en Chine et au Vietnam.

Leur philosophie : la protection du tigre ne peut se penser sans la défense des autres félins et de leur biodiversité – le léopard, le lion asiatique ou le guépard étant également victimes des mêmes logiques de disparition.

Des résultats mesurables : victoires et limites

Si les efforts paient, c’est souvent à la marge, mais c’est déjà une victoire. En Inde, la population de tigres, passée de 1 411 en 2006 à 3 682 en 2022, représente un triplement, dû en grande partie au travail patient des rangers, au soutien des ONG et à un investissement massif dans les réserves (National Tiger Conservation Authority, Inde).

Au Népal, en 2022, le nombre de tigres est passé à 355, contre 121 en 2009, soit une multiplication par trois en un peu plus d'une décennie – un des rares pays, avec l’Inde, à avoir dépassé sa part de l'objectif TX2 (WWF Press Release).

  • Le Cambodge et le Vietnam, eux, enregistrent la disparition totale des tigres à l’état sauvage. Ressusciter ce félin sur des territoires où il n’existe plus demande alors non seulement des efforts herculéens mais aussi une volonté diplomatique et politique inédite.
  • L’approche collaborative, si encourageante, se heurte à la corruption, au manque de moyens locaux et à la pression démographique (agriculture, infrastructures routières). La lutte contre le braconnage prend parfois des allures de Sisyphe : pour chaque filet déposé, un autre apparaît ailleurs.

Mondes imbriqués : les peuples, le tigre et le paysage

Ce que l’action de ces organisations nous apprend, c’est qu’il n’y a pas de solution miracle isolée. Le tigre appartient à un tissu vivant, celui de la forêt, des proies, des peuples autochtones, et finalement, de nos imaginaires. Lutter pour le tigre, c’est aussi répondre à des enjeux humains : la pauvreté, l’éducation, le droit à la terre.

  • Au Bangladesh, l’implication des « Tiger Widows » – ces femmes ayant perdu leur mari tué par un tigre dans les Sundarbans – illustre la complexité de la coexistence avec le fauve. WWF travaille à offrir des alternatives économiques et une compensation, afin d’éviter les représailles sur tous les tigres du secteur.
  • Dans certains territoires d’Inde, Panthera soutient les « Guardians of the Forest », où des villageois sont formés pour surveiller, mais également raconter l’histoire du tigre à leurs enfants, recréant une alliance nouvelle.

Entre espoir et urgence : la voie encore à tracer

Lorsque l’on interroge des responsables du WWF ou les scientifiques de Panthera, un constat revient : la moindre négligence, et tous les efforts sont à recommencer. Leur action ne s’arrête pas aux chiffres positifs, mais réclame une vigilance quotidienne. Dans un monde où les routes et les rails fragmentent la jungle, où le prix d’une peau de tigre sur le marché noir dépasse parfois le revenu médian annuel d’un villageois, il faut lier le destin du tigre à celui de toute la communauté humaine.

Plus que jamais, le rôle de ces organisations va bien au-delà de la simple sauvegarde d’une espèce. Elles expérimentent, innovent, tissent des liens nouveaux entre science et sagesse locale. Elles refusent, sereinement mais résolument, l’idée que le rugissement du tigre se taise à jamais.

Organisme Année de création Actions majeures Zones d'intervention
WWF 1961 Réserves, éducation, lutte contre le trafic, partenariats avec gouvernements Inde, Russie, Népal, Bhoutan, Asie du Sud-Est
Panthera 2006 Corridors génétiques, développement scientifique, surveillance de la criminalité Inde, Myanmar, Laos, Asie centrale et du Sud-Est

Chaque action compte : de la patrouille silencieuse d’un ranger dans la forêt à l’algorithme scrutant des milliers de photos, c’est tout un monde militant, doux mais déterminé, qui s’affaire pour que le tigre demeure plus qu’un symbole — un destin lié au nôtre.

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