Surgir ou s’éteindre ? Le point de départ d’un défi planétaire

En 2010, alors que le nombre de tigres sauvages chute à un niveau historiquement bas – moins de 3 200 individus, soit une perte de plus de 95 % par rapport au début du XXème siècle (source : WWF) – un espoir ténu naît. Treize pays d’Asie où survivent les derniers tigres se réunissent à Saint-Pétersbourg. Ensemble, ils s’engagent : d’ici 2022, doubler la population des tigres sauvages. Cet objectif audacieux porte un nom désormais célèbre dans le monde de la conservation : TX2. Derrière cet acronyme, un rêve presque irréel : sauver de l’effacement génétique et symbolique Pantera tigris, la plus grande des espèces félines.

TX2, mode d’emploi : un plan global où chaque territoire compte

Doubler le nombre de tigres, ce n’est pas une équation froide. C’est un véritable ballet de diplomatie, de science et d’action sur le terrain. TX2, orchestré principalement par le WWF, la Global Tiger Initiative, et d’autres partenaires, repose sur un triptyque :

  • Renforcement de la protection in situ : gardes anti-braconnage, patrouilles, technologie de surveillance (drones, pièges photographiques, SIG).
  • Restaurer et connecter les habitats : reforestation, corridors écologiques, planification territoriale adaptée.
  • Lutte contre le trafic : coopération judiciaire internationale, pression diplomatique, campagnes d’éducation.

Concrètement, cela implique d’agir à la fois à l’échelle des villages frontaliers, des gouvernements, et des consommateurs lointains du marché noir. Chaque réserve, chaque corridor, chaque tigre compte.

Des chiffres derrière la promesse : où en est-on ?

Au lancement du programme, la barre était basse : moins de 3 200 tigres à l’état sauvage (source : WWF, TRAFFIC). Qu’en est-il plus d’une décennie plus tard ? Selon le dernier recensement compilé par le WWF et le Global Tiger Forum en 2022, la population est estimée à environ 4 500 individus sauvages. Une hausse substantielle – +40 % – mais le doublement n’est pas encore là.

Certains pays ont connu une véritable renaissance du tigre :

  • Népal : passé de 121 tigres en 2009 à 355 en 2022 (source : Department of National Parks and Wildlife Conservation, Népal)
  • Inde : la population est passée d’environ 1 411 individus en 2006 à près de 3 167 en 2022 (NTCA)

Mais la situation n’est pas homogène : la Russie et le Bhoutan stabilisent ou augmentent doucement. D’autres pays, comme la Birmanie (Myanmar), la Malaisie ou l’Indonésie, continuent de voir les effectifs chuter ou rester désespérément bas (moins de 300 en Malaisie, moins de 400 en Indonésie pour le tigre de Sumatra). Le tigre est déjà éteint ou fonctionnellement absent dans des pays tels que le Cambodge, le Laos ou le Vietnam.

Anatomie d’un miracle : pourquoi le Népal et l’Inde réussissent là où d’autres chancellent ?

Le succès remporté au Népal et en Inde n’a rien d’un miracle passif. Ce sont les conséquences directes de pratiques engagées :

  • Surveillance et engagement local : implication des communautés locales dans la gestion des réserves, recrutement de gardes issus des villages, développement d’économies alternatives.
  • Partage équitable des bénéfices : dans les zones tampon, 30 à 50 % des revenus touristiques sont redistribués aux villages impliqués (source : WWF Nepal).
  • Technologies embarquées : le « SMART Patrol System » (Spatial Monitoring and Reporting Tool), l’ADN environnemental et la biométrie individuelle (rayures uniques), augmentent la précision des recensements et dissuadent les braconniers.
  • Volonté politique continue : la question du tigre est érigée en priorité nationale, martelée par les dirigeants lors des discours et campagnes.

A contrario, partout où la corruption sévit, où les réserves ne sont que des affichages sans moyens ou où les communautés sont exclues voire paupérisées par la conservation, le tigre recule ou disparaît.

Braconnage, trafic et fragmentation : trois sabres de Damoclès

Si TX2 progresse dans certains bastions, trois menaces pèsent toujours :

  1. Le braconnage : Selon TRAFFIC, entre 2000 et 2022, plus de 3 900 tigres ont été victimes du trafic illégal (dents, peaux, os, produits dérivés). L’effondrement de la population du tigre de Malaisie (moins de 150 à l’état sauvage selon MYCAT) en est une conséquence directe.
  2. La fragmentation de l’habitat : Chaque année, environ 1,3 million d’hectares de forêt tropicale d’habitat du tigre sont perdus en Asie du Sud-Est à cause de l’agriculture, de l’exploitation forestière et de l’urbanisation (source : Global Forest Watch).
  3. La demande internationale persistante : Malgré des législations plus strictes, la demande en Asie orientale pour les produits issus du tigre (notamment en médecine traditionnelle et talismans) se maintient, maintenant ainsi la valeur du braconnage.

Chaque tigre braconné, chaque corridor coupé, chaque marché noir toléré, sont une cicatrice profonde dans l’élan de TX2.

Peut-on vraiment multiplier les tigres ? Ce que disent la génétique et l’écologie

Multiplier les tigres n’est pas qu’une question de chiffres ou de volonté politique. D’un point de vue écologique, plusieurs paramètres sont essentiels :

  • Capacité de charge écologique : Un tigre nécessite jusqu’à 60 à 100 km² d’habitat et des proies (cervidés, sangliers, buffles, etc.) en abondance (source : Panthera). Doubler la population, c’est aussi doubler les ressources nécessaires.
  • Diversité génétique : Des populations trop petites (comme en Chine ou en Russie) souffrent de consanguinité et de risques accrus de maladies.
  • Connectivité des populations : Les corridors écologiques entre réserves sont essentiels pour éviter l’isolement génétique, favoriser la dispersion des jeunes mâles et renouveler les territoires.

Notons une réussite exemplaire : en Inde, la gestion des couloirs forestiers entre Panna, Bandhavgarh et Kanha a permis la recolonisation spontanée de plusieurs zones vidées de tigres dans les années 2000 (source : Wildlife Institute of India).

Mais ailleurs, la perte d’habitat et l’isolement menacent toute relance démographique, malgré la meilleure des volontés.

Renverser la tendance : ouvertures et paradoxes du TX2

Le TX2 n’est ni une baguette magique, ni un slogan. Sa réussite, partielle mais bien réelle, tient d’une dynamique collective rare à l’échelle internationale : des financements mieux orientés, une vague de réformes antidoter la corruption, l’engagement clair des communautés riveraines et un éclairement croissant de l’opinion publique sur les réseaux sociaux, l’art, la mode ou la littérature engagée.

Le tigre n’est pas qu’une espèce à sauver : il est l’ombre qui veille sur des millions d’hectares d’écosystèmes, de l’Inde centrale à la Sibérie. Là où le tigre prospère, les forêts aussi – et avec elles, des milliers d’espèces moins charismatiques mais tout aussi menacées.

Le doublement ? TX2 l’a peut-être rendu possible à l’échelle de certains paysages, voire de certains pays. Mais il faudra sans doute des décennies pour que le tigre regagne tous ses royaumes perdus. L’essentiel est en marche : la roue tourne, un peu plus fort, dans le bon sens. Dans la douceur du combat, l’art de persévérer, et la nécessité de transmettre ce souffle aux générations suivantes.

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